Vicious de L.J. SHEN, ou l'absence de flamboyant connard.

 Dans la vie, il y a l'amour. Dans l'amour, il y a le business. Dans ce business, il y a la "romance" et notamment la "dark romance".  Vicious un roman "new adult" de L.J. SHEN, se veut être l'une d'entre elles.

 Emilia LeBlanc va rencontrer l'année de ses 17 printemps le célèbre Baron Spencer qui se surnomme Vicious, (en hommage aux Sex Pistols et à son activité sexuelle débridée). Un jeune homme à la peau blanche comme la neige, riche comme Crésus, beau comme un dieu, mais au passé tragique, le hic. 
Ce dernier déambule dans les couloirs du lycée, comme le roi qu'il est, que dis-je, le héros. 
Il n'est pas le seul héros par ailleurs. Flanqué de ses trois amis tout aussi attirants, tout aussi riches, (ou qui le deviendront), tout aussi imbriqués dans des histoires d'amour alambiquées, (ou qui le seront), les quatre jeunes hommes se font appeler les "Four hot heroes", ou les quatre héros sexy.  
Vicious semble être le leader. Et pour le plus grand malheur d'Emilia, il mènera la danse. Pas une danse endiablée et sexy, mais le genre de danse où vous ne maitrisez pas grand chose et quand vous croyez tenir le bon bout, l'autre vous lâche et vous laisse seule, désemparée, et humiliée.
 
 
Voyez, notre chère et tendre Emilia, une artiste qui s'habille tout en couleurs dans les friperies, n'a pas d'amis et a une obsession pour les cerisiers en fleurs, n'est pas seulement complètement retournée par ce vicieux Vicious; ses parents travaillent pour lui. Enfin, techniquement, ces derniers travaillent pour son père et sa belle-mère. Mais le Baron vicieux étant un jeune homme vivant la plupart du temps seul dans son manoir, les parents d'Emilia astiquent une cuisine, débroussaillent un jardin et nettoient une piscine essentiellement pour permettre au jeune homme de donner des fêtes dignes de Gatsby le magnifique, saupoudrées d'une tendance Fight Club.
Un très bon lien de subordination en somme, avec, en plus, un voisinage forcé: Emilia et sa famille, dont une petite sœur malade,  occupant les appartements des domestiques.
Ces années lycées se finissant sur une note assez moche, notre héros, (toujours aussi charmant) et notre héroïne, (encore plus artiste puisqu'elle se teint les cheveux en mauve), se retrouveront dix ans plus tard. 
Un même lien de subordination se met en place, Vicious embauchant Emilia, sur fond de vengeance à la Comte de Monte-Cristo
L'amour arrivera t-il à se frayer un chemin dans ce marasme? 
 
 Avant toute chose, on me dit qu'en matière de "dark romance", il est question de kidnapping et autres fantasmes sombres à l'ombre d'une grotte où l'on est retenue prisonnière. 
Or, ici, il s'agit d'une "romance contemporaine" prise dans un autre fantasme en vogue, fantasme qui traverse d'ailleurs tous les types de romance, celui du "flamboyant connard".


Je m'explique. Le connard flamboyant ne te torture pas, ne te kidnappe pas, ne te force pas MAIS il se comporte mal PARCE QUE:
-ta tronche ne lui revient pas,
-il a une vie de merde,
-tu es différente,
-la vie, c'est compliqué,
-tu l'attires et tu es différente, mais tu ressembles à sa belle-mère physiquement et sa vie de merde est compliquée, (vraies raisons dans Vicious).
Et toi tu l'aimes désespérément...

Plus sérieusement, c'est un personnage qui nous emporte par son charisme, sa manière d'aborder la vie ou de la tromper et de te tromper par la même occasion. Ses obsessions et/ou ses idéaux le façonnent  et le poussent à croire qu'il est un être unique, que rien ne pourra ébranler, jusqu' à un certain point. Il porte en lui sa propre fin, souvent dramatique. Il reste une personne que l'on a du mal à comprendre ou, au contraire, que l'on ne comprend que trop bien. Il flamboie tant dans ses aspects attrayants que dans sa médiocrité. 
Inaccessible parce qu'incapable de se mouler dans un quotidien, il laissera l'héroïne, plus ou moins meurtrie, sur le carreau, souvent sans grande considération, avant de se repentir ou de disparaître.

 Alors, Vicious le vicieux appartient-il à cette catégorie? Son histoire d'amour arrivera t-elle à s'inscrire dans mon petit cœur en émoi?

 L'écriture:
L'auteur a fait le choix d'alterner le point de vue des deux personnages principaux à la première personne du singulier, (et au passé), à travers des chapitres revenant sur les évènements au lycée et sur leur vie adulte actuelle.
C'est un choix compliqué qui entraîne bien souvent de nombreuses répétitions inutiles. Pour exemple, Emilia passe son temps, quand elle est avec Baron, à souligner sa puissance séductrice chaque fois que ce dernier amorce un quelconque mouvement.
Et le style n'aide pas. Avoir "une "patte" est difficile, (les plus doués pouvant atteindre le rang convoité de "grande littérature"), surtout que l'on peut laisser nos influences nous bouffer.
A défaut, un style plus sage, sans prise de risque mais clair et efficace est le bienvenu. Ce n'est pas si simple non plus.
Ici, je ne peux m'empêcher d'avoir une impression d'"à la va-vite" bien immature. Comme des ados sans grande imagination qui couchent sur papier leurs échanges de la journée. Ils décrivent dans le menu détails des situations sans arriver à révéler ce que cela sous-tend ou à installer une atmosphère. Ils nous précisent quelle chanson passe mais pas l'émoi qu'elle suscite ou l'ambiance qu'elle instaure. On brouillonne du brouillon et on en reste là. Les gros traits sont tracés. On n'y revient pas et on déroule l'histoire.

 L'histoire:
Comme dans tout roman d'amour qui se respecte, l'histoire d'amour est l'intrigue principale. Une écriture à gros traits peut-elle laisser entendre une histoire troublante qui dépasse la simple attirance physique? 
Quatre, simplement quatre scènes où le héros et l'héroïne interagissent du temps de leur adolescence. La première étant leur rencontre, très brève, la dernière étant leurs adieux rapides, assez odieux et sans grandes étincelles. Tout comme le reste par ailleurs. Un sentiment de bref. On jette entre-temps deux autres scènes où la tension sexuelle est à son comble et le tour est joué.
Le problème c'est que cette période au lycée est censée sceller le point de départ d'un amour si fort qu'il perdure dix ans après et que les héros et leur entourage en saignent encore.
Il faudra attendre la quasi-fin du récit, (malgré une allusion très floue et inexpliquée plus tôt dans l'histoire), pour apprendre qu'une correspondance anonyme entre nos deux protagonistes a pu les faire se connaître et se comprendre sous un nouveau jour. Un peu tard... 

En intrigue secondaire, on ne peut retenir que le projet de vengeance de Baron, projet qu'il fomente depuis l'adolescence. Un plan malheureusement assez invraisemblable dans plusieurs aspects de son exécution, voir ridicule, (une électrocution via téléphone portable?). Désigner l'héroïne comme élément indispensable à sa réalisation n'apparaît pas vraiment crédible. Certes, cela permet à cette dernière de mieux le comprendre, (et de vite l'excuser), mais est-ce suffisant?

Je ne m'attarderai pas sur la rivalité entre le héros et un de ses amis qui a eu une relation de quelques mois au lycée avec l'héroïne. L'impact sur les personnages sent l'inabouti et n'est plus vraiment compréhensible durant les années adultes.
Rien non plus du côté d'Emilia et de son excommunication à l'adolescence, (grotesque?), par le chef Baron et ses conséquences profondes.

L'auteur survole et moi je vole, bien au-dessus de cette histoire, sans jamais en trouver la porte d'entrée pour m'installer dans son univers.

 Les personnages:
Si l'écriture reste à la surface des choses et l'histoire se contente  de deux-trois moments clés, vite expédiés, pour remplir les promesses de départ, les personnages peuvent-ils être autre chose qu'inachevés?

On ébauche, on esquisse, un semblant de "mauvais garçon incompris" et de fille "indépendante d'esprit", avec, parfois, des comparaisons inadaptées et une impression d'être trompée sur la marchandise. On me dit, mais ce n'est pas toujours ce que je lis. 
En conséquence, l'auteur se sent obligée de nous donner des explications appuyées, via ses personnages, sur le pourquoi des actions et réactions de chacun. 

Baron dira de Emilia "un esprit rebelle et indépendant".
Mais Emilia est trop souvent réduite à une boule de nerf qui passe son temps à lutter contre son attraction puissante pour un homme qui ne l'a jamais bien traitée. Ou, au mieux, avec une indifférence froide.
Elle nous est certes présentée comme une battante, proche de sa famille et ayant un lien particulier avec sa sœur, mais tout cela est noyé sous ses sempiternels atermoiements concernant le héros. 
Et malheureusement son côté "rebelle" et son "indépendance d'esprit" ne sont utilisés que pour jouer au jeu du chat et de la souris avec Vicious.
Même sa fibre artistique ne brillera qu'à travers le héros.
Grâce lui est rendue -par Baron lui-même- pour n'avoir jamais été à ses pieds durant l'adolescence. Pourtant, ce dernier soulignera le désir flagrant qui émanait d'elle, (elle passait son temps à l'observer, à se rendre à ses entraînements...), rendant évident qu'elle voulait être avec lui. Une question se pose alors, pourquoi être restée tant de temps avec un autre à cette même époque? D'autant que cette relation, dont on se sait pratiquement rien, sera le catalyseur qui conduira deux amis à s'éloigner et Emilia à devoir fuir, contrainte et forcée.  

Baron est charismatique, intelligent, cultivé, plein d'esprit, cynique et matérialiste, selon les dires de l'héroïne. "Brisé et incompris" ajoutera t-elle à la fin de l'histoire. 
Ma lecture m'a fait remettre en question sa vivacité d'esprit, ses réparties étant des fois bien à côté de la plaque, même les salaces. 
Puis je n'ai vu qu'un adulte qui me semblait simplement idiot dans sa manière de gérer ses employés et tout sauf compétent en tant qu'"avocat requin". 
L'aspect sombre du héros, pris dans son désir de vengeance, est mis en balance par le sentiment noble qui a suscité ce désir: l'amour qu'il porte à sa mère et à son souvenir. Ce côté est très intéressant, mais, là encore, pas assez approfondi. D'autant que l'amour qu'il porte à Emilia finalement vite assumé,  le côté vain de sa vengeance sera vite expédié. L'auteur adosse à ce côté sombre, (pour le rendre plus évident?), un "désir de salir" l'héroïne, jugée trop pure, qui ne s'est absolument pas traduit dans les faits. Se pose alors la question: pourquoi tout ce cinéma? Il aurait largement pu se mettre avec l'héroïne dès l'adolescence, comme il semblait le vouloir dans le fond, malgré son "incapacité à aimer".
A noter qu'il reste un personnage plutôt constant dans son côté connard, (malgré quelques contradictions dans le récit) et pas un simple outil dont l'auteur se sert pour apporter une tension à la scène, rendant les situations artificielles malgré elles et le héros masculin un pantin que l'on ne peut prendre au sérieux, (oui, oui, je pense à After, j'ai survolé le premier tome).

A part Baron et Emilia, je ne peux pas vraiment parler des autres personnages, à peine esquissés. 
A noter que les trois amis canons de Vicious ont droit à leur propre livre et donc à leur propre histoire d'amour.


Malheureusement, pas de flamboyant pour moi et pas d'histoire d'amour qui m'emporte, même si les bases étaient posées.

 Pour conclure, je recommanderais plutôt le premier tome d'une autre série à succès, écrite à la même époque, et qui va s'intéresser à un groupe d'amis hockeyeurs sur glace à l'université: Off-Campus de Elle Kennedy.
Pas de "flamboyant connard" mais un héros populaire à l'activité sexuelle débordante, lourdaud mais attachant. Et une héroïne qui a une personnalité.
Alors oui, pour faire avancer l'intrigue, (et un peu de remplissage), l'auteur utilise le tragique de la vie de nos héros de manière artificielle et maladroite, (au milieu d'une histoire légère et drôle), croyant donner de la consistance à des personnages qui existaient déjà très bien jusque-là. Mais j'ai cru au lien amoureux qui se créait entre les deux protagonistes à travers leur badinage, (ils m'avaient fait sourire), leurs confidences et même leurs scènes de sexe et ça c'est déjà bien.
 

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